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Considérations sur la flûte traversière

Considérations sur la flûte traversière


Je souhaite partager ici quelques considérations sur la flûte, son jeu, son apprentissage et son enseignement. Elles intéresseront les flûtistes, professeurs ou non, qui réfléchissent sur leur jeu et la façon de le transmettre. Ce n’est pas une méthode exhaustive mais plutôt une compilation de points que j’ai rassemblés en chapitres et que je soumets à vos avis et commentaires.

Ces considérations sont les fruits du savoir transmis par mes professeurs, de mes recherches personnelles et de mon expérience auprès de mes élèves, qui m’ont appris autant que, je l’espère, j’ai pu leur apporter.

1. Tenue de la flûte

La tenue de l’instrument est un enjeu majeur, pour le confort et le plaisir du jeu et, bien sûr, pour la qualité et la stabilité de la sonorité.  Le port de la flûte est un défi qui n’est pas facile à relever, surtout pour les jeunes apprenants qui n’ont pas encore leur morphologie définitive et une parfaite maîtrise de leur motricité.

Les instruments adaptés (flûtes dites « petites mains », ou « goutte d’eau ») permettent la pratique tant que la longueur des bras n’est pas suffisante pour jouer une grande flûte. Cependant, les bonnes habitudes sont à prendre dès que possible, en particulier avec les points de contact suivants :

  • Pouce droit : il doit se placer sous l’index (clé du fa) afin de former une « pince ». Il peut être légèrement positionné vers l’arrière de l’instrument afin de créer un couple de forces opposées : la force contraire est assurée par l’index de la main gauche, ramenant la flûte vers l’arrière et stabilisant l’embouchure dans le creux du menton.
  • Index gauche : il convient d’appuyer ce doigt sur la flûte au milieu de la première phalange, au niveau du muscle, en préservant ainsi l’articulation de l’index à la paume (métacarpe). Cela permet également de laisser le bout du doigt libre pour actionner sa clé. Il faut placer le poignet gauche suffisamment à l’aplomb de la flûte afin que l’action du pouce gauche n’entraîne pas un mouvement de la main, préjudiciable à la stabilité de l’instrument.
  • L’auriculaire droit, posé sur sa clé, assure un point de contact supplémentaire bienvenu sur la majorité des notes de la flûte. Le ré naturel (grave et médium) bénéficie de suffisamment d’autres doigts posés.

Les doigts de la main droite sont légèrement incurvés au dessus de la flûte, sans toucher les tringles. Cette légère courbure concerne également l’auriculaire dont nous venons de parler. Un auriculaire en extension a en effet tendance à entraîner une torsion des trois doigts médians et du poignet ce qui n’est pas souhaitable pour une bonne mobilité.

Lorsque les doigts ne sont pas posés sur les clés, il faut veiller à ce que la distance qui les sépare des clés soit assez réduite afin de faciliter vélocité et synchronisation.

La synchronisation des doigts est particulièrement importante pour la qualité du jeu lié et j’y reviendrai plus bas.

Enfin, les doigts doivent être toniques mais sans excès : leur poids suffit à fermer les clés sans qu’il soit nécessaire d’appuyer fort, au risque de se raidir. Les crispations des doigts se répercutent dans les bras et parfois même jusqu’aux épaules et au dos.

2. Posture générale

L’ancrage dans le sol, avec les deux pieds posés à terre et le poids également réparti dans les deux jambes participent à la stabilité générale. Une bonne posture permet une bonne respiration abdominale, en veillant à garder les épaules basses et les coudes relâchés, naturellement attirés vers le sol par la gravité. Attention toutefois à ne pas trop rapprocher les coudes du buste, ce qui bloquerait l’écartement thoracique lors de l’inspiration.

Tous les gestes parasites sont à proscrire car inesthétiques et contre-productifs. J’attire notamment l’attention sur la mauvaise habitude prises par les apprenants à s’aider de leur épaule gauche pour emboucher ou encore de recouvrir entièrement le trou d’embouchure avec les lèvres avant de pivoter la flûte vers l’extérieur pour jouer. Il convient le plus tôt possible de « mémoriser » l’emplacement de la lèvre inférieure sur la plaque d’embouchure et de savoir le retrouver par le positionnement habituel des bras et la sensibilité de la lèvre inférieure.

Un autre geste parasite consiste à taper la pulsation avec le pied ou à la marquer avec la flûte par des gestes saccadés. J’encourage les apprenants à intérioriser la pulsation. Je sais l’importance du geste qui participe à la maîtrise du rythme, la proximité de la danse et de la musique n’étant plus à démontrer. Mais voilà : quand on joue, mieux vaut danser dans sa tête ! A tout le moins, faire en sorte que les mouvements du flûtiste accompagnent son jeu sans le perturber.

3. Sonorité

Parlons à présent du son. De nombreux paramètres interviennent dans la création du son et certains sont propres à la flûte traversière. Nous sommes les seuls instrumentistes à former le son en canalisant l’air avec ses lèvres sans contact direct avec le tuyau sonore. Une petite quantité de l’air ne va irrémédiablement pas entrer dans la flûte et créer du son. Il y a quelques pertes aux abords du biseau.

L’absence de contrainte pour l’air à entrer dans l’embouchure participe de la douceur du timbre de la flûte ainsi que de sa puissance relative (à comparer aux instruments à bec ou anches et aux cuivres dont les embouchures sont étroites). D’ailleurs, au sein même de la famille des flûtes traversières, on constate le lien entre petitesse de l’embouchure, volume d’air à mettre en vibration (taille du tube résonateur) et puissance sonore : le piccolo est ainsi plus puissant qu’une flûte basse.

Une technique est commune avec les autres instruments à vent : la respiration abdominale qui permet, à l’aide du diaphragme, la maîtrise du débit de l’air expulsé. L’enjeu est de pouvoir contrôler la quantité et la vitesse de l’air : c’est ce qu’on appelle communément le soutien. Ce contrôle permet de pallier aux difficultés liées à l’acoustique de l’instrument. Pour la flûte : jouer fort dans le grave, jouer doucement dans l’aigu. Cela permet aussi de contrer certains réflexes naturels comme le fait de souffler davantage juste après l’inspiration au lieu de répartir de manière égale l’air emmagasiné, en assurant le débit (et donc la justesse), quelque soit la nuance, jusqu’au silence ou  jusqu’à la respiration suivante.

Les paramètres pour la formation du son :

  • La forme de la « lumière », c’est-à-dire le trou formé par les lèvres et les muscles du « masque » par lequel l’air est expiré. La « lumière » est généralement aplatie par l’étirement des commissures des lèvres et légèrement arrondie au niveau de la fosse nasale. Le canal formé par les lèvres est plus ou moins centré selon la morphologie de ces dernières. On cherchera à minimiser l’effort musculaire fourni, en particulier dans le registre aigu, en renforçant la vitesse de l’air par l’action du diaphragme plus que par le rétrécissement du larynx, de la cavité buccale ou par le pincement des lèvres.
  • L’angle de direction formé par le léger retrait de la lèvre inférieure, décalage qui permet de souffler l’air sur le biseau en évitant qu’une trop grande quantité soit perdue. On peut parler de « bec de perroquet » pour imager l’imperceptible mouvement de la mâchoire inférieure qui permet d’influer notablement sur l’angle du jet d’air, ce qui est particulièrement utile pour corriger la faiblesse de certaines notes, notamment le do#, qui est trop haut et bien creux si l’air n’est pas soufflé assez bas sur le biseau.
  • La configuration de la gorge et de la bouche, à l’instar des chanteurs, en cherchant globalement l’ouverture et le relâchement afin de ne pas perturber l’accès de l’air. Parfois, il convient même de le faciliter en conformant l’espace buccal pour mieux canaliser l’air jusqu’à la sortie des lèvres. La position de la langue, du palais et de la mâchoire inférieure influent également sur la vitesse de l’air et donc sur l’intonation.
  • La distance « lumière-biseau » : on traite généralement ce paramètre par la rotation de la flûte avec les mains. Il convient de trouver le bon compromis entre un son trop ou pas assez « couvert ». Trop « couvert », l’air est contraint par un raccourcissement de la distance entre sa sortie des lèvres et son impact sur le biseau : le son est alors trop fermé, cuivré, saturé et bas d’intonation. Trop « découvert », l’air est perdu en passant au-dessus du biseau : le son est alors trop clair, peu timbré et haut d’intonation. La position idéale est généralement celle permettant d’avoir les clés du corps de la flûte à l’horizontal, parallèles au sol. Il convient d’aligner le trou de l’embouchure avec les clés. Ainsi, l’angle de direction évoqué ci-dessus est le plus naturel possible et la distance « lumière-biseau » adéquate.

Je note au passage que certaines flûtes d’étude comporte des signes gravés afin de faciliter l’alignement de la tête (embouchure) avec le corps. Chez Yamaha par exemple, je considère que l’embouchure est ainsi positionnée trop à l’extérieur, ce qui conduit les jeunes apprenants à « couvrir » avec les mains. Face à un élève qui couvre, le meilleur remède est bien souvent de rentrer l’embouchure en tournant la tête d’un ou deux millimètres vers l’intérieur. Ainsi, le flûtiste a plus de facilité à souffler sur le biseau tout en conservant les clés parallèles au sol (et le poignet droit dans l’axe de l’avant-bras).

Les flûtes à tête courbe représentent un vrai challenge pour trouver la bonne configuration d’alignement. La tête courbe influe sur la gravité générale de l’instrument et il convient de la disposer sans créer de contrainte répercutée dans les mains. De même avec les flûtes « goutte d’eau » : je recommande de la placer vers le bas. La placer vers l’arrière crée en effet un déséquilibre qui contribue à tourner la flûte vers l’intérieur, donc à « couvrir ».

4. Le masque

La multitude de petits muscles entourant les lèvres (i.e. le masque) contribuent à former le canal par lequel l’air expiré va de la lumière au biseau et c’est dans cet interstice que réside la qualité, la pureté du son. L’air est propulsé de manière égale et parvient librement, sans obstruction, avec la vitesse et la quantité adéquates pour produire la note voulue. Le masque contribue à cette qualité de son.

Toutefois, il faut faire en sorte de dépendre le moins possible du masque afin de jouer sans fatiguer. Trop sollicités, les muscles du masque risquent de trembler et, en cas de fatigue, le son peut se détériorer. C’est le cas surtout lorsqu’il s’agit de jouer dans l’aigu et que les lèvres se pincent pour compenser un manque de soutien du diaphragme. Les lèvres pallient à une quantité trop importante et/ou un manque de vitesse de l’air et le masque fatigue. Si l’air  n’est pas correctement canalisé, le son se voile d’un bruit de souffle et perd sa pureté.

L’exercice des sons filés dans le grave, joués très doucement, en cherchant le plus de détente possible du contour des lèvres est pour cela très bénéfique. Il s’agit de modeler le masque de façon à canaliser juste assez pour assurer l’air de parvenir sur le biseau sans perte mais de bien réaliser que l’essentiel est contrôlé de plus bas, depuis la base de la « colonne d’air ». Le relâchement du masque est plus difficile à conserver dans les registres supérieurs mais il faut néanmoins essayer de le conserver le plus possible. On parvient à un bon résultat en arrivant à dissocier la quantité d’air et la vitesse de celui-ci : à nouveau, c’est la maîtrise du soutien qui est primordiale.

Comme on le voit, une belle sonorité est finalement le résultat de nombreux paramètres. Le contrôle de tous ces paramètres ne peut se faire de façon constante et consciente. Seules la pratique régulière et une bonne écoute, à la fois de ses sensations corporelles et du résultat sonore, permettent d’acquérir un confort de jeu qui fait de la flûte une extension de soi, un medium de transmission d’émotions musicales.

La qualité du son n’est qu’un outil à l’expression musicale. Il est même des langages musicaux où la beauté du son (qui est finalement subjective, comme tout canon esthétique) n’est pas essentielle. Cependant, un joli son ne suffit pas. Un autre enjeu est de bien savoir commencer et finir une note, c’est le travail à mener sur les attaques et sur la manière progressive ou abrupte de revenir au silence, ou encore d’assurer le passage d’une note à une autre.

5. Le legato

Le travail du legato, le soin apporté au changement de note, le « remplissage » des intervalles, petits ou grands, représentent un enjeu d’expressivité musicale de la ligne mélodique. La flûte, comme tout autre instrument monodique, est particulièrement appréciée pour cette aptitude. La phrase musicale repose sur la qualité de ce legato. La souplesse dans les intervalles est assurée à la fois par :

  • la parfaite synchronisation des doigts pour éviter les petits accrocs.
  • le soutien, par une modification éventuelle de la vitesse d’air, surtout si changement de registre, de dynamique, de couleur, de vibrato.
  • le masque, car même si les mouvements du masque sont à limiter, certains micro-ajustements interviennent pour bien canaliser l’air, pour changer légèrement l’angle du flux sur le biseau afin de corriger la justesse, etc…

Encore une fois, ces éléments ne sont pas conscientisés mais sont les fruits de la pratique, de la répétition, afin d’obtenir le résultat escompté.

Idéalement, le flûtiste dans l’acte de jouer ne pense plus aux contingences techniques de la flûte qu’il a en mains. Totalement libéré, il est entièrement concentré sur la juste place à accorder à chaque note, sur la direction donnée à chaque phrase, sur le sens de chaque instant de musique produit. Instants éphémères inestimables, où la perception du Temps n’est plus la même, pour celui qui sait écouter.

6. En guise de conclusion

Pour terminer, je voudrais évoquer la manière de s’impliquer concrètement dans le jeu musical. Je souhaite à tous les apprenants d’avoir la chance de développer au plus tôt la faculté d’entendre intérieurement les hauteurs des sons. Une bonne oreille intérieure permet en effet de préparer la production sonore. L’anticipation commence par la lecture en avance de la partition et si possible, par le fait de penser les notes au moment de les jouer. Les voir, les lire sur la portée est une chose ; les penser, les entendre facilite davantage encore leur production et leur maîtrise. Ainsi, on se rend pleinement acteur du discours musical et, pour peu qu’on ait saisi le sens de ce que le compositeur souhaite exprimer, on devient le transmetteur fidèle, l’interprète audacieux de son message, à un public esthète et mélomane.

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